Quiconque a déjà participé (ou assisté) à un tournoi de Black-jack jusqu’au bout aura sûrement déjà surpris une de ces conversations au bar du casino, où des joueurs habitués, pour ne pas dire experts, discutent à l’infini sur ce qu’il aurait convenu de faire à tel ou tel moment, telle ou telle main de tel ou telle manche du tournoi.
Et quiconque a déjà un minimum d’expérience conviendra avec moi qu’il est rare que les écarts de pourcentage de succès entre les différentes options en présence dépassent l’unité. Comme l’écrivait déjà Stanford Wong au début des années 1990 : « proper bet is seldom clear cut ». Or, d’un point de vue strictement mathématique, il n’y a bien souvent qu’une seule bonne décision, même si celle-ci était tout sauf évidente sur le moment pour le joueur en plein stress, en pleine action. Le facteur humain intervient déjà à ce stade, en tant que source d’erreur ou d’occasions manquées.
Mais le facteur humain dont je voulais parler dans ce billet n’est pas du même ordre. En effet, même en connaissant par cœur TOUTES les probabilités du jeu de Black-jack, en cash game comme en tournoi, il peut arriver qu’une « mauvaise » décision, qu’une mise suboptimale, soit pourtant la meilleure décision à prendre sur le moment. Je m’explique.
S’il y a bien un type de joueurs qui ne joue pas optimalement, ce sont bien les joueurs débutants, ou les joueurs enferrés dans leurs fausses certitudes ou leurs vieilles habitudes (qui a dit « les abrutis » ?! :-). Et s’il y a bien une façon d’augmenter ses chances de succès en TBJ, c’est bien en cherchant à exploiter au maximum les erreurs de tels adversaires. En d’autres termes : ne pas commettre d’erreurs soi-même, c’est bien, exploiter celles des autres et les POUSSER à en commettre des critiques, c’est beaucoup mieux, et presque indispensable, je dirais. Autant contre un joueur aguerri (et je ne parle pas de quelqu’un qui répète depuis 15 ans les mêmes erreurs), il faut chercher à jouer selon l’optimum mathématique, autant il faut savoir faire preuve de retenue face à un adversaire débutant ou mal dégrossi. Un exemple :
Dernière main, je suis au bouton (je suis interrogé en premier pour la mise et pour le jeu de la main), j’ai 6 150, contre 6 000 pour mon poursuivant, que j’ai identifié comme étant un vulgaire « chattard » qui, en plus, se permet de donner des leçons (« Aha, je parle après vous, donc j’ai la position sur vous ! Je joue au poker, moi, vous êtes mal, là ! »). Ce qui nous rappelle une célèbre citation de Michel Audiard, même si le joueur en question n’a pas tort sur toute la ligne. 😉 Mon avance sur lui est donc mince.
Ma première réaction : attendre, tout en faisant semblant de préparer ma mise. Souvent, les débutants misent à contre-temps, trop vite, trop tôt, avant leur tour de parole, et vous fournissent une info capitale, en plus d’un avantage incroyable. Si c’est le cas, vous n’avez plus qu’à effectuer un matchbet (= miser la même chose) et vous voilà favori à plus de 80 %, et les cartes ne sont même pas encore distribuées !
S’il n’est pas tombé dans le panneau, c’est le moment de jauger son niveau, après avoir déterminé dans quel profil de joueur on pouvait le ranger en gros, chose difficilement quantifiable, que l’on peut donc également considérer comme faisant partie du « facteur humain ». Nombreux sont les joueurs inexpérimentés ou grossiers à considérer la dernière main comme une sorte de partouze au maxbet. Ce genre de joueurs se figure souvent que c’est celui ou celle qui recevra les meilleures cartes qui gagnera à la fin, et a tendance à miser le max sans sourciller, quoi que vous puissiez miser.
À ce stade du tournoi, c’est très simple : si je pense qu’il y a ne serait-ce qu’une chance sur deux qu’il fasse maxbet, alors ma meilleure option est de miser le maximum moi aussi, pour bénéficier de l’avantage énorme évoqué plus haut, alors que ce n’est pas du tout la meilleure mise mathématiquement parlant ! Sans compter que les chances sont grandes que ce même type de joueur n’osera pas non plus déroger à la/sa stratégie de base quand ce sera nécessaire…
Ceux qui disent que « les tournois de black-jack, c’est que de la chance de toute façon » ou qui disent que « ce n’est qu’une question de connaissance des tableaux de probas » se trompent : ce sont les deux à la fois, UNE FOIS que vous avez su correctement jauger ET le style, ET le niveau de vos adversaires, choses éminemment humaines s’il en est.
Il y avait un dicton, au poker, au début des années 2000 : « play the player, not the cards ». Si, au Black-jack de tournoi, la psychologie joue un moindre rôle qu’au poker, il n’empêche que « jouer le joueur » plutôt que les seules cartes peut sensiblement augmenter votre taux de rentabilité. J’ai coutume de dire que le poker, c’est 90 % de psychologie et 10 % de maths, la variance des cartes pouvant être source de mauvaises surprises, alors qu’au Black-jack en mode tournoi, c’est l’inverse : 90 % de maths, les 10 % restants de psychologie, LE « human factor » dont il était question ici pouvant être source d’excellentes surprises, qui augmentent encore plus l’intérêt du jeu.
Alors, à bientôt en Belgique ? ^^
KF
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Bien exposé
Vraiment pas eu de chance alors… 😋 J’étais dans les 80% à la dernière main de la finale hier soir…. Aaaahhh les cartes…. mais je savais que les 2 cocos auraient doublé donc maxbet ! Et la fee “clochette” est arrivée… Bravo à tous. Belle finale !
Hello Sammy,
et bravo d’être arrivé si loin dans le challenge ! “Pas de chance” oui et non, car il aurait presque fallu que tu lises l’article AVANT la TF pour ne pas tomber victime d’une erreur classique de “lecture des opposants” en dernière main ! Ironique, non ?
La gagnante m’a en effet dit que tu as commis une double erreur : tu as overbetté en tant que leader provisoire et premier de parole, ET ta mise indiquait clairement que tu n’avais pas prévu de devoir contrer les doublés aggros des autres “zouaves” par ton propre doublé ! ^^
De plus, je crois avoir compris que tu as sur-tiré sur ton 13, alors que les probas étaient en ta faveur. En gros, même lorsque deux joueurs aggressifs doublent pour te dépasser, il n’y à guère que 50 % de chances que ne serait-ce qu’un seul soit payé ET te batte au passage. Bon à savoir, non ?
Belle dernière manche, en tout cas, bien haletante, car il y avait pas mal de concurrence pour décrocher le dernier package dispo pour Spa ! J’ai aussi une pensée pour Malika, battue au tie-break car non-Premium ET connectée en retard, et pour Pluche, qui n’était que deux points derrière et n’avait besoin que d’une 3ème place hier soir pour verrouiller le classement et décrocher la timbale.
Tout ça pour dire qu’à court terme, la variance du jeu peut être très frustrante, mais qu’à moyen/long terme, le talent finit toujours par lisser les résultats et donc par payer ! Je renvoie ici à l’article 33, en plus de celui-ci…
Bonne rentrée à toi quand même, et au play-sir de te revoir, en ligne ou en live (Namur le 12 ? Spa le mois prochain ?)
KungFox
Perso, j’ai mon petit “tableau mental” qui se subdivise en 4 avec forces et faiblesses pour chaque catégorie. Ca m’aide à appréhender la partie selon le profil des joueurs à table. Evidemment, c’est surtout faisable dans notre petit groupe relativement restreint où le profil des différents joueurs est assez évident. Je ne porte aucun jugement de valeur sur aucune de ces catégories (sauf peut-être les “bourrins” ^^).
Les “matheux” : Très portés sur le “Game Theory Optimal”. Mais parfois, cela restreint justement leur liberté de “mouvement” et leur périmètre d’action.
Les “intuitifs” : Ceux qui s’éloignent des maths et vont plutôt s’adapter au “flow” de la partie et fonctionner aux attaques ciblées et généralement massives. Cela peut rapidement bien ou mal tourner.
Les “imprévisibles” : Capable (de manière consciente ou inconsciente) de jouer sur les 2 tableaux. Souvent avec une affinité première avec l’une des 2 catégories précédentes. Très plaisant à jouer contre eux car chaque partie, ils peuvent adopter une approche différente. Par contre, ce profil est parfois entre 2 chaises et du coup peut avoir un jeu inconstant.
Les “bourrins” :
C’est assez rare finalement (à Namur en tout cas). Je n’en vois qu’un qui me vient directement à l’esprit, tout droit venu des tables de poker. Je pense que vous devinerez facilement à qui je pense. Cette catégorie n’est vraiment pas une menace. Statistiquement, ils gagneront une fois de temps en temps et de loin, mais sur la durée, ils ne sont vraiment pas une menace sérieuse.
Je ne suis pas d’accord avec la répartition 90% math, 10% psychologie par contre. C’est d’après moi surévaluer l’importance des maths purs et durs. Cela serait vrai en “heads up” ou “à 3” mais pas face à une table complète.
Oui, j’avoue que la répartition 90/10 était un peu tranchée, sans doute pour susciter des réactions… ^^
Je serais, pour ma part et contre une table complète, plus pour du 60/40, effectivement…
Tu n’as vraiment pas eu de chance, surtout sur le double de Aimsay.
Par contre je ne pense pas que tu ais over-bet. Je dirais même que tu avais légèrement sous-bet (même si vu le déroulement de la main, ça n’aurait rien changé de miser plus ou moins donc pas de regret). De plus, sur d’autres tables récentes, tu as posé des surrenders bien embêtant en dernière main 😉
Apparemment, la capture d’écran que l’on m’a envoyée n’était pas celle de la dernière main ! Sorry pour ces “procès d’intention”, alors…
[…] des adversaires est pris en compte, soit l’exact inverse de ce qui se passe en Europe. Ce qui n’est pas sans risque. Comme quoi, il faut toujours non seulement lire les règlements, mais aussi s’adapter au […]